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DU BUDDHISME INDIEN.

qui désire embrasser la vie religieuse ne souffre pas des fatigues qu’ils nous causent ; il ne voit pas l’ennemi lui ravir son pouvoir ; il n’est pas réduit à l’indigence[1]. À la vue du monde qui souffre de la douleur, qui est la proie de la mort, qui s’épuise en efforts impuissants, j’ai craint d’y renaître, et j’ai formé le projet d’entrer dans la voie du bonheur et de la sécurité. À ces mots, le roi Açôka se mit à verser des larmes en gémissant. Mais Vîtâçôka voulant le consoler, prononça cette stance :

« Puisqu’une fois montés dans la litière agitée du monde, les hommes sont condamnés à en tomber, pourquoi cette émotion s’empare-t-elle de toi ? Ne sommes-nous pas tous faits pour nous séparer un jour ?

Eh bien ! dit Açôka, commence ici ton apprentissage de mendiant. Dans un enclos planté d’arbres, au milieu du palais, on étendit pour le prince un tapis de gazon, on lui donna de la nourriture. Il se mit à parcourir en mendiant les appartements intérieurs, mais il ne recevait pas de très-bons aliments[2]. Le roi dit aux femmes des appartements intérieurs : Donnez-lui des aliments semblables à ceux que ramassent les Religieux qui mendient. En conséquence, le prince recueillit du gruau gâté et pourri, et il se mit en devoir de le manger. Mais Açôka l’ayant vu, l’en empêcha : Mène la vie de mendiant, puisque je t’y autorise ; mais quand tu auras recueilli des aumônes, montre-les-moi.

« Quelque temps après, Vîtâçôka se rendit à l’ermitage de Kukkuta ârâma. Cependant cette pensée lui vint à l’esprit : Si je mène ici la vie de mendiant, je serai au milieu de la foule. C’est pourquoi il se retira dans les campagnes du Vidêha[3], et se mit à y mendier. Enfin, après bien des efforts d’application, il obtint le rang d’Arhat. Quand le respectable Vîtâçôka eut atteint ce haut rang, il ressentit le bonheur et le plaisir de la délivrance, et il fit cette réflexion : Je suis en effet un Arhat. La première chose qu’il fit fut de se rendre à la porte du roi Açôka. Va, dit-il au gardien, et annonce au roi Açôka que Vîtâçôka est à sa porte, et qu’il désire voir le roi. Le gardien se rendant aussitôt auprès du roi, lui dit : Ô roi, bonheur à toi : Vîtâçôka est à ta porte, et il désire voir le roi. Va vite, répondit le roi, et fais-le entrer. Aussitôt Vîtâçôka fut introduit dans le palais. Açôka n’eut pas plutôt vu son frère, que se levant de son trône, il tomba de toute sa hauteur aux pieds du Religieux, comme un arbre coupé par la racine ; puis regardant le respectable Vîtâçôka, il lui dit en versant des larmes :

  1. Ce passage est fort altéré ; je prends le sens le plus vraisemblable.
  2. Il est nécessaire, pour la clarté du récit, de supprimer cette négation ; je proposerais donc de lire : âhâram âlabhata, au lieu de âhâram na labhatê, et je traduirais ainsi : « et il recevait de très-bons aliments. »
  3. Le Vidêha est, comme on sait, l’ancien Mithila ou le Tirhout moderne.