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Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/348

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CHAPITRE PREMIER.

moutarde[1]. » Cette similitude d’une montagne formée de graines de moutarde est commune chez les Buddhistes, et ils semblent se plaire à l’exprimer de plusieurs façons ; car dans le livre que je citais tout à l’heure, j’en trouve la variante suivante : « Soit une ville aux murailles de fer, ayant un Yôdjana en largeur, en longueur et en hauteur ; qu’elle soit remplie de graines de moutarde, et qu’un homme, au bout de chaque centième année, prenne une à une ces graines de moutarde pour les transporter hors de la ville : eh bien ! cette masse de graines serait plus vite épuisée que ne le serait un Kappa[2]. » On se sert encore de la similitude d’une énorme montagne de même dimension que la ville de fer et formée d’une masse homogène de rochers, et on suppose que si un homme venait tous les cent ans la frotter avec le bord de son vêtement fait d’étoffe de Kaçi ou de Bénârès, la montagne serait plus tôt détruite que ne le serait le Kappa[3]. La conception d’une durée indéfinie paraît tellement propre à l’idée que les Buddhistes du Sud se font d’un Kappa, que, suivant un texte cité dans le Dhamma ppadîpikâ singhalais, on reconnaît dans un Kappa quatre Asam̃khêyya ou quatre incalculables, c’est-à-dire quatre de ces durées exprimées par le chiffre gigantesque qui porte le nom d’Asam̃khêyya, nom sur lequel j’ai rassemblé quelques remarques dans un autre endroit de ces notes[4]. Le premier Asam̃khêyya a lieu durant le temps de la destruction ou du sam̃vaṭṭa du Kappa : « Alors ce n’est pas chose facile de dire tant d’années, tant de centaines d’années, tant de milliers d’années, tant de centaines de milliers d’années. » Le second Asam̃khêyya dure tout le temps que le Kappa reste détruit ; le troisième, tout le temps que le Kappa met à renaître ou le temps du vivaṭṭa ; et enfin le quatrième, tout le temps que dure le Kappa une fois que le monde est revenu à l’existence[5]. Ces détails sont parfaitement d’accord avec ceux que Turnour a extraits, tant du Saddhamma ppakâsinî, commentaire du célèbre Buddhaghôsa sur le Paṭisambhida, que de l’Aggañña sutta du Dîgha nikâya[6]. La réunion de ces quatre périodes dites innombrables forme un Mahâkappa ou grand Kappa.

On voit en quoi cette définition diffère de celle des Barmans : le nom d’Antarakappa n’y paraît pas, non plus que le nombre de soixante-quatre Asam̃khêyyakappas ; mais cette omission n’est pas une divergence réelle, car il y a tout lieu de croire que ces sous-divisions n’ont pu être inconnues à l’auteur du Dharma pradîpikâ, puisqu’elles ne l’ont pas été à Turnour, ainsi que nous l’exposions tout à l’heure. Je trouve, de plus, le nom de Antaḥkalpaya dans le Dictionnaire singhalais de Clough, avec le chiffre de 1,774,800,000 pour la durée de cette période et sans autre explication[7] ; je remarque, pour le moment, que dans les textes originaux qui sont à ma disposition, je ne vois pas que l’Antarakappa soit défini par un nombre quelconque. Il semble même que toute détermination soit ici inadmissible. En effet, l’idée de regarder un grand Kappa comme composé de quatre périodes dites Asam̃khêyya ou incalculables en durée, cette autre idée de faire commencer

  1. Dharma pradîpikâ, fol. 30 b.
  2. id. ibid.
  3. Ibid. fol. 30 b ; Joinville, On the Relig. and Manners of the people of Ceylon, dans Asiat. Res. t. VII, p. 404, éd. Calcutta, in-4o.
  4. Ci-dessous, ch. xvii, f. 185 a : Append. no XX.
  5. Dharma pradîpikâ, fol. 30 a.
  6. Turnour, Examin. etc. dans Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. VII, p. 691 et 699.
  7. Clough, Singhal. Diction. t. II, p. 33.