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Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/359

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NOTES.

time, goût, signification qui ne me paraissait pas convenir partout. Mais depuis j’ai trouvé deux moyens de fixer avec plus de précision le sens de ce terme. En premier lieu, les Singhalais le connaissent vulgairement et en font un adverbe qu’ils traduisent par « volontairement, de son propre gré[1]. » On pourrait donc interpréter adhimukti par volonté, et le composé qui nous occupe par « ayant la bonne volonté pour essence, » c’est-à-dire « pleins de bonne volonté. » Mais, après une comparaison attentive des passages du Lotus et d’autres textes où se présente ce terme, je trouve que ce sens, qui dans la présente stance serait fort admissible, ne s’applique pas avec une égale facilité à tous les endroits où se montrent, soit le mot adhimukti même, soit les autres dérivés du verbe mutch, précédé de la préposition adhi. En second lieu, plusieurs des passages où se rencontrent des dérivés du verbe adhimutch demandent qu’on lui assigne la valeur de « comprendre, diriger son esprit vers, » comme en grec συνιέναι. Je signalerai entre autres un texte qui viendra plus bas, fol. 104 b, où la notion de comprendre est nécessairement contenue dans ce verbe, avec une indication de pouvoir ou de capacité qui nous ramène jusqu’à un certain point à la notion de volonté admise par les Singhalais. Enfin je citerai en faveur de ce sens le témoignage de la version tibétaine du Vadjra tchtchhêdika, version dont I. J. Schmidt a donné une traduction allemande. On lit, en effet, vers la fin du texte sanscrit de ce petit traité, le passage suivant : Yah subhûté bôdhisattvô nirâtmânô dharmâ nirâtmânô dharmâ iti adhimutchyatê (adhimutchyêta ?), que I. J. Schmidt traduit ainsi : « Wenn irgend ein Bôdhisatva also denken möchte : Alles Seyn ist ohne Ich, ohne Ich ist alles Seyn[2], » d’après le tibétain, et qu’on pourrait rendre ainsi d’après le sanscrit : « Le Bôdhisattva qui serait capable de comprendre ceci : Les conditions (ou les êtres) n’ont pas de moi. » En faisant l’application de ce sens au terme de notre texte, adhimuktisârâḥ, on devra traduire, « avant l’intelligence pour essence, » et tout le passage signifiera « soyez attentifs, soyez toute intelligence. » C’est bien certainement aussi le sens à l’intelligence ou de pénétration qu’il faut chercher dans le terme adhimukti, dont le Lalita vistara fait une des cent huit portes de la loi. Cette qualité conduit en effet, selon la définition de cet ouvrage, au résultat suivant : avitchikitsâparamatâyâi sam̃vartatê, « cela conduit à l’exemption absolue du doute, ou à la certitude absolue[3]. »

De ces trois significations, celle d’inclination, que donnent les Tibétains et aussi les Singhalais, celle de confiance, que j’avais choisie dans le principe, et celle d’intelligence ou de pénétration, c’est évidemment cette dernière qui convient le mieux à la définition du Lalita vistara. Mais le sens d’inclination, ou plus généralement de disposition, d’intention, est admis par les lexicographes du Sud, et l’Abhidhâna ppadîpikâ énumère positivement adhimutti parmi les synonymes du terme signifiant intention[4]. Je trouve un exemple de ce sens dans le Djina alam̃kâra, où le participe adhimutta est employé concurremment avec le verbe duquel il vient : Iti êvam anêkadhâtunânâdhâtukassa yam̃ yadéva dhâtum̃ sattâ adhimutchanti tam̃ tadêva adhiṭṭhahanti abhinivissanti kêtchi rûpâdhi-

  1. Clough, Singhal. Dictionn. t. II, p. 25.
  2. Mém. de l’Acad. de Saint-Pétersbourg, VIe série, t. IV, p. 204.
  3. Lalita vistara, f.21 b du man. A ; f.23 b et 24 a du man. B ; f.18 b et 19 a du man. de la Soc. asiat.
  4. Abhidhân. ppadîp. l.III, c. ii, st. 10.