Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
494
LE LOTUS DE LA BONNE LOI.

Brâhmanes possédant la triple science qui ait vu Brahmâ face à face ? — Non certes, Gôtama. — Eh bien ! descendant de Vasiṭṭha ; les anciens Isis (Rĭchis) des Brâhmanes qui possèdent la triple science, ces sages auteurs des Mantas (Mantras), chantres des Mantas, dont les Brâhmanes d’aujourd’hui, qui possèdent la triple science, répètent d’après eux les anciens vers lyriques produits sous forme de chants et composés par eux, chantant ce qui a été chanté, prononçant ce qui a été prononcé, parlant ce qui a été parlé, ces Rĭchis, dis-je, comme Aṭṭhaka (ou Aḍḍhaka), Vâmaka, Vâmadêva, Véssâmitta, Yamataggi, Ag̃girasa, Bharadvâdja, Vasiṭṭha, Kassapa, Bhagu[1], est-ce qu’ils ont parlé ainsi : Oui, nous savons, oui, nous voyons où est Brahmâ, en quel lieu est Brahmâ, en quel endroit est Brahmâ [f. 61 b] — Non certes, Gôtama. — Ainsi donc, ô descendant de Vasiṭṭha, il n’y a pas un seul Brâhmane parmi ceux qui possèdent la triple science, il n’y a pas un seul maître de ces Brâhmanes, il n’y a pas un maître d’un seul maître de ces Brâhmanes, il n’y a pas un seul maître dans un grand cycle de sept générations, qui ait vu Brahmâ face à face ; et les anciens Rĭchis, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] Rassapa, Bhagu, n’ont pas parlé ainsi : Oui, nous savons, oui, nous voyons où est Brahmâ, en quel lieu est Brahmâ, en quel endroit est Brahmâ. Mais, ô descendant de Vasiṭṭha, voici ce qu’ont dit ces Brâhmanes possédant la triple science : Celui que nous ne connaissons pas, que nous ne voyons pas, nous enseignons la voie pour s’unir à lui ; voici la droite voie, voici la route véritable, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ. Que penses-tu de cela, ô descendant de Vasiṭṭha ? Si, les choses étant ainsi, ces Brâhmanes qui possèdent la triple science disent : Nous enseignons la voie, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ[2], qu’en penses-tu ? Les choses étant ainsi, n’est-ce pas de la part de ces Brâhmanes qui possèdent la triple science un acte de jonglerie ? — Oui, Gôtama, les choses étant ainsi, le langage de ces Brâhmanes qui possèdent la triple science est un acte de jonglerie. — Ainsi, descendant de Vasiṭṭha, le langage de ces Brâhmanes qui possèdent la triple science ressemble uniquement aux bâtons des aveugles : le premier ne voit pas, celui du milieu ne voit pas, le dernier ne voit pas davantage. Leur langage n’est que ridicule, ce ne sont que des mots, c’est chose vide, c’est chose vaine. »

Et maintenant, si m’appuyant sur des textes de ce genre, j’ai raison de placer Çâkyamuni au milieu du mouvement intellectuel si puissant et si original qui a donné naissance, sinon à la composition première, du moins à la réunion d’une partie des Brâhmanas, s’étonnera-t-on que le Buddhisme, qui s’adressait à la partie la plus populaire de la

  1. Sur ces noms, voy. Roth, Zur Litt. und Gesch. des Weda, p. 13. Ici Bhagu est pour le sanscrit Bhrĭgu. Quant à celui qui ouvre cette liste, et qui est écrit tantôt Aṭṭhaka, tantôt Aḍḍhaka, je ne connais pas de nom Brâhmanique qui y réponde ; mais il rappelle la division du Rĭgvêda en achṭakas ou huitains. Le rédacteur ou le copiste de notre Sutta aurait-il confondu une division de livre avec un nom d’auteur ? D’un autre côté, l’écriture singhalaise est si confuse et si imparfaite que l’on pourrait également lire andaka ; nom qui signifierait peut-être « né d’un œuf » et serait synonyme de Hiraṇyagarbha, ou de Pradjâpati, auquel on attribue quelques hymnes du Rĭgvêda dont on ignore les véritables auteurs. (Colebrooke, On the Vedas, dans Misc. Ess. t. I, p. 33.)
  2. J’ai tiré le sens le plus vraisemblable du texte qui est ici confus, et où il y a probablement à la fois lacune et répétition.