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Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/548

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APPENDICE. — No III.

les premiers colonisateurs du Népâl (il serait peut-être plus juste de dire les premiers habitants) sont originaires d’un pays peuplé par la race mongole, cela ne prouve pas que Mañdjuçrî, qu’on fait venir de ce pays, ait été le chef de la colonisation. Il y a contradiction manifeste entre les deux parties de la légende, dont l’une fait de Mañdjuçrî le premier civilisateur du Népâl, et dont l’autre le regarde comme l’introducteur du culte d’Âdibuddha. Cela est historiquement de toute impossibilité, puisque le culte d’Âdibuddha est un des derniers développements du Buddhisme septentrional. Le Svayamhhû purâṇa, il est vrai, se tire de cette difficulté capitale en reportant et l’arrivée de Mañdjuçrî et l’établissement du culte dont on le fait l’auteur, à l’époque fabuleuse du troisième des anciens Buddhas qui ont précédé Çâkyamuni. Mais cette solution est plus commode que sérieuse ; loin de nous satisfaire, elle doit éveiller notre attention sur la façon tout arbitraire avec laquelle ont été disposés les éléments de la tradition relative à Mañdjuçrî.

Suivant l’extrait précité du Svayamhhû purâṇa, ce Religieux vint dans le Népâl à la suite du roi Dharmakar ou Dharmakâra, qui était originaire de Tchîna[1]. Ce dernier détail mérite attention, en ce qu’il subordonne Mañdjuçrî à un personnage politique dont le nom n’est pas prononcé dans le Pañtchavîm̃çatikâ des Népâlais. Il ne l’est pas davantage dans la liste des Râdjas du Népâl, que Prinsep a empruntée à l’ouvrage de Kirkpatrick[2]. Mais il importe de remarquer que Dharmakâra peut bien n’être qu’un titre religieux qui se serait ajouté ou substitué à quelque nom plus historique. Le mot de dharma, « la loi, » fait naître par lui-même cette conjecture ; nous trouvons même dans un pays voisin, le Bhotan, un emploi analogue du mot dharma, c’est le titre de Dharma Râdja qu’on donne au chef spirituel du pays[3]. Toutefois cette conjecture même, en supposant qu’elle soit fondée, ne nous apprend rien sur le nom du chef militaire qu’il faudrait rattacher à la mission religieuse et civilisatrice de Mañdjuçrî. Si l’on devait s’en rapporter à un extrait de l’historien chinois Ma touan lin, inséré dans les journaux des Sociétés asiatiques de Londres, de Paris et de Calcutta, les Chinois auraient gardé dans leurs annales le souvenir d’une tradition qui est analogue à celle des Népâlais, malgré plusieurs différences essentielles. Mañdjuçrî y est dit fils d’un roi de l’Inde qui régnait vers l’an 968 de notre ère. Il se rendit à la Chine en qualité de Religieux, et y fut accueilli avec bienveillance ; mais les intrigues de quelques autres prêtres buddhistes le forcèrent à quitter le pays[4].

Je ne puis malheureusement ajouter aucun détail à ceux que je viens de reproduire d’après l’historien chinois. Il m’est également impossible de tenter la conciliation de cet extrait avec les traditions recueillies dans ces derniers temps au Népâl par M. Hodgson. Les seuls points que je croie devoir signaler à l’attention du lecteur sont les suivants.

  1. Hodgson, Classific. of the Newars, dans Journ. as. Soc. of Bengal, t. III, p. 216 et 217 ; Transact. of the roy. as. Soc. of Great-Britain, t. II, p. 266.
  2. Useful Tables, p. 114 et 115.
  3. Fr. Hamilton, Account of Nepâl, p. 56 et 57.
  4. Chinese accounts of India, dans Journ. as. Soc. of Bengal, t. VI, p. 72, extrait de l’Asiat. Journ. de Londres, juillet et août 1836 ; Nouv. Journ. asiat. IIIe série, t. VIII, p. 416 ; mais surtout Notices sur les pays et les peuples étrangers, dans Nouv. Journ. asiat. IVe série, t. X, p. 118. C’est cette dernière traduction, qui est due à mon savant confrère, M. Stanislas Julien, que je suis dans mon extrait de ce que les Chinois nous apprennent sur Mañdjuçrî.