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Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/692

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APPENDICE. — N° IX.

vyâkhyâ, j’avoue que l’enchaînement de ces conditions me frappe tellement, que j’aurais cru qu’on les nommait ainsi parce qu’elles étaient envisagées sous la figure d’un courant d’eau, grossi plusieurs fois par l’accession successive d’autres courants ; en d’autres termes, je n’aurais pas vu dans âvêṇika un primitif négatif a+vêṇi, mais un positif â+vêṇika, « qui marche par confluents. » La glose que je viens de rappeler s’oppose formellement à ce mode d’interprétation.

Au reste, il paraîtrait que ces dix-huit qualités laissaient sur la personne de Çâkyamuni une impression reconnaissable, car je les trouve citées par le Mahâvastu immédiatement après les attributs purement corporels qui distinguent le Buddha. Dans un passage de ce livre, Çâriputra voit Bhâgavat qui s’avance vers lui, et à cette occasion l’auteur énumère les perfections auxquelles il peut être reconnu : Dvâtrim̃çatîhi mahâpuruchalakchaṇêhi samanvâgatam açîtîhi anuvyañdjanêhi upaçôbhitaçarîram achṭâdaçêhi âvêṇikêhi Buddhadharmêhi samanvâgatam daçahi tathâgatabalêhi balavân tchaturhi vâiçâradyêhi viçâradô çântêndriyô çântamânasô uttamadamaçamathapâramitâprâptô nâgô yathâ karitakâraṇô antargatêhi indriyêhi avahirgatêna mânasêna susthitêna dharmatâprâptêna rĭdjunâ yugamâtram̃ prêkchamâṇaḥ. « Doué des trente-deux signes d’un grand homme ; ayant le corps paré des quatre-vingts attributs secondaires ; doué des dix-huit conditions d’un Buddha dites âvêṇika ; fort des dix forces d’un Tathâgata ; confiant des quatre confiances ; ayant les organes des sens calmes ; ayant l’esprit calme ; arrivé à l’excellente perfection de l’empire sur soi-même et de la quiétude ; semblable à un éléphant ; ayant accompli son œuvre ; (enfin) avec ses sens renfermés en lui-même, avec son esprit qui ne s’égare pas au dehors, qui est parfaitement ferme, arrivé à la règle et droit, il ne regarde pas plus loin que la longueur d’un joug[1]. » En résumé, au lieu de traduire âvêṇika par homogène, comme je l’avais fait d’après la version tibétaine, je propose actuellement de le traduire par indépendant, c’est-à-dire détaché de toute imperfection, quoique je reconnaisse que cette traduction ne peut encore être bien comprise sans le commentaire que je viens d’essayer d’en donner.

J’ajouterai, pour terminer, que le texte du Mahâvastu cité tout à l’heure achève ce tableau du sage par un trait qui jette du jour sur une expression que l’interprète tibétain du Lalita vistara ne me paraît pas avoir comprise. Il s’agit des mots yugamâtram̃ prêkchamâṇaḥ, qui signifient littéralement « ne regardant pas en avant au delà de la longueur d’un joug, » et qui rappellent une idée brâhmanique connue. Or, lorsque le Lalita vistara décrit le Religieux que vit pour la première fois le jeune Siddhârtha dans une de ses promenades hors du palais de son père, et de plus quand il représente Çâkya lui-même devenu Religieux entrant dans la ville de Râdjagrĭha, il se sert d’une expression presque semblable, yugamâtram̃ paçyan, « ne voyant pas plus loin que la longueur d’un joug[2]. » M. Foucaux, d’après les Tibétains, l’a traduite la première fois, « ne considérant que le joug qui le retient, » et la seconde fois, « ne regardant que le joug (de la morale). » Je crois, malgré l’opinion de l’interprète tibétain, que cette formule doit

  1. Mahâvastu, f. 208 a.
  2. Lalita vistara, f. 126 b de mon man. A ; Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 184 et 228.