Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/137

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ce fut un de ces amours réputés impossibles et qui sont précisément ceux qui éclatent avec le plus de violence. « Comment le prince Karoll, cet homme si beau, si jeune, si chaste, si pieux, si poétique, si fervent et si recherché dans toutes ses pensées, dans toutes ses affections, dans toute sa conduite, tomba-t-il, inopinément et sans combat, sous l’empire d’une femme usée par tant de passions, désabusée de tant de choses, sceptique et rebelle à l’égard de celles qu’il respectait le plus, crédule jusqu’au fanatisme à l’égard de celles qu’il avait toujours niées, et qu’il devait nier toujours ? » Ce fut, en effet, un terrible malentendu ; le châtiment ne se fit pas attendre. À peine la destinée de cet invraisemblable amour s’est-elle accomplie, l’imagination du prince Karoll s’excite sur toutes les circonstances de la vie de Lucrezia, même sur ce passé qu’on ne lui a pas caché ; les difficultés commencent ; tout s’assombrit dans cette âme où le soupçon est entré ; la vie entre ces deux êtres n’est plus qu’un long orage. Comment naît la jalousie, comment elle jette son poison secret dans les rapides joies de ce bonheur, étonné d’abord de lui-même, comment elle le corrompt sans le détruire, produisant les courtes folies, les angoisses délirantes, les fureurs qui éclatent ou celles qui tuent par de longs silences, comment les ruines morales s’accumulent sous les coups d’un insensé, jusqu’au dénouement fatal, vulgaire et poignant, voilà ce que raconte ce livre avec une logique de déductions, une sûreté de traits, une profondeur d’analyse qui trahissent la vie observée de près et profondément sentie.