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Page:Champfleury - Grandes Figures d’hier et d’aujourd’hui, 1861.djvu/197

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GERARD DE NERVAL 169 mari s’en aperçoit. Il en demande la raison : la dame lui fait entendre qu’un escholier du nom de Jehan, moult gentil (ces récits me gênent et ne sauraient être écrits que dans la langue de l’illustre Siméon Chaumier), lui inspire une amitié innocente qui lui tient au cœur. — Jehan, dit le mari, veux-tu le revoir? je vais te le montrer. Alors l’homme ouvre une grande armoire et en tire une peau sèche, dans laquelle il souffle jusqu’à ce que le gonflement reproduise l’image du Jehan chéri. Le ja- loux attendait au bas de l’escalier les amants de sa fem- me, les assassinait traîtreusement, les vidait et faisait sécher leur peau. Ainsi mcntra-t-il à la pauvre femme tous ses amoureux, maintenant conservés dans un tiroir d’armoire. Cette nouvelle obtint un tel succès que M. Erot fut reçu membre du bousingot et sacré poète. Tels étaient les aimables récits de ce temps romantique, auquel il fallait une certaine force pour se soustraire. Gérard, cachant prudemment ses pensées, échappa à cet ensei- gnement; il était pris déjà du goût des voyages, qui l’a poussé plus tard vers un monde tout-à-fait inconnu. A l’époque où je le connus plus intimement, certains détails de sa vie me frappèrent tellement, que je les ins- crivis sur un livre de notes. J’en détache un pour bien faire comprendre le genre d’existence qu’il menait : Mars 1849. — J’ai vu Gérard de Nerval à l’Artiste; il n’a pas dépensé cinquante francs en deux mois. — Vous avez donc crédit quelque part, Gérard? — ] T on ; je mange une flûte pour mon déjeuner, et je dépense douze sous pour mon dîner.