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Page:Clerget - Louis-Xavier de Ricard, 1906.djvu/12

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reine des hommes. Puis le poète, éveillé de celle vision séculaire, la fixe pour son temps fugitif en la ciselure de ce sonnet

À Vénus de Milo


Ô Vénus de Milo, grand poème sculpté,
Les charmes infinis rêvent sous la paupière,
Et les baisers muets de tes lèvres de pierre
Font descendre en nos cœurs la sainte volupté.

Hymne marmoréen, tu vois l’éternité
T’admirer, et sourire à ta candeur altière ;
À genoux devant toi, l’esprit et la matière
Adorent la puissence et la sérénité.

Le temps a resperté la grâce tout entière,
Et de nos passions la vaine activité
N’a jamais dérangé les plis de la beauté.

Poète, garde ainsi ton âme intacte et fière ;
Que ton esprit, vêtu d’impassibilité,
Marche à travers la vie au but qui l’a tenté.

Ce sonnet, écrit le 30 décembre 1864, marque à souhait une halte significative entre les formes parnassiennes dejà existantes mais non encore désignées, et le prochain parnasse qui, dix-huit mois plus tard, adoptera ce nom. Même l’impassibilité y est inscrite. — Cependant le poète ne stationne devant ce marbre qu’un instant ; il reprend sa marche vers le progrès humain. Ayant renoncé à l’appui des dieux, il va seul, parmi des abîmes, au milieu des hurlements, sous un ciel furieux. C’est le combat.


Ah ! tendez-moi la main ; je ne sais ou je suis.
Mon pied tremble, et j’entends le noir manteau des nuits
Tomber, et rudement froisser ton sein, ô terre !

L’ombre est noire, et la justice lente. Quelle est cette aube rouge ? Où donc est la liberté enchaînée ? On reconnaît ce moment où l’âme républicaine, étouffée, cherchait à se faire entendre en strophes symboliques, dont l’airain vibrait au fond de la nuit intellectuelle, nuit salutaire d’où l’on pouvait guetter l’ennemi. L’aube grandit, saluée par les poètes :


Des chants ont déroulé leurs larges harmonies
Au milieu des splendeurs charmantes du matin ;
Et l’on entend parler je ne sais quels génies
Dans les ondoiements de leur flot cristallin.

Esprits, réveillez-vous ! Le soleil qui se lève
Hâte ses rayons prompts pour les mieux écouter.
C’est le chant alterné de la lyre et du glaive
Que d’invisibles voix se sont mis à chanter

.....
Ô vous tous, surgissez des abris qui vous cachent !
Ô frères, accourez ! les mains du jour attachent
Le glaive au flanc guerrier et la pensée au front.