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Page:Collectif - Revue canadienne, Tome 1 Vol 17, 1881.djvu/17

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LES LETTRES CANADIENNES


disciples il y a loin. Mais les disciples se reconnaissent tous à une marque certaine : l’amour des couleurs voyantes, la recherche des images et des antithèses, une désinvolture souvent échevelée, et la richesse de la rime.

La richesse de la rime est même le grand et quelquefois l’unique mérite d’une certaine catégorie de disciples.

À défaut des éclairs de génie qui sillonnent le front du maître, il ont la lime avec laquelle ils polissent le métal qui reluit au soleil ; n’ayant pas le glaive flamboyant, ils font flamboyer l’étui.

C’est le vernis romantique, représenté par Théodore de Banville, substitué à la cheville classique, représentée par l’abbé Delisle.

« Théodore de Banville, » disait Rapin, autrement Louis Honoré Fréchette, dans une de ses chroniques à La Patrie, « c’est le poète aux rimes d’or, mais creux. »

Que Rapin y prenne garde, Théodore de Banville est le frère de lait de Louis Honoré Fréchette. Ils ont eu la même nourrice, ils ont sucé la même mamelle. Puis l’un a fait Pêle-mêle et les Fleurs boréales, couronnées par l’Académie française ; l’autre a écrit Diane au bois et les Odes funambulesques, qui ont failli lui ouvrir les portes mêmes de l’Académie.

Les Oiseaux de neige auront-ils un plus grand retentissement en France que n’en ont eu les Odes funambulesques ? Il est permis d’en douter. Il est permis de douter aussi que l’immortalité de M. Fréchette soit plus longue que celle de Théodore de Banville.

C’est que la rime est épuisée. C’est que le lecteur a à satiété de ce genre qui dit beaucoup aux yeux et souvent peu à l’intelligence. Quand on voudra dans dix ans, dans cinquante ans, lire les beaux vers qu’a produits cette école, on lira Victor Hugo. Le maître contient surabondamment tous les disciples. Et puis l’on a Musset.

Le grand défaut de la plupart des disciples c’est de laisser froid le lecteur pendant qu’eux-mêmes n’ont que larmes, déchirements de cœur et désespoirs. On est médiocrement ému devant ces douleurs savantes, et savamment conduites, qui s’avancent méthodiquement, ont les mêmes retours,