Aller au contenu

Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Baes, pourquoi nous éveilles-tu au milieu de la nuit ?

— C’eſt une habitude que j’ai, répondit le baes, de ne permettre à mes ouvriers de ne reſter qu’une demi-nuit au lit pendant les sept premiers jours.

La nuit suivante, il éveilla encore à minuit ses ouvriers. Ulenſpiegel, qui couchait au grenier, mit son lit sur son dos & ainſi chargé deſcendit dans la forge.

Le baes lui dit

— Es-tu fou ? Que ne laiſſes-tu ton lit à sa place ?

— C’eſt une habitude que j’ai, répondit Ulenſpiegel, de paſſer les sept premiers jours, la moitié de la nuit sur mon lit & l’autre moitié deſſous.

— Eh bien, moi, répondit le maître, c’eſt une seconde habitude que j’ai, de jeter à la rue mes effrontés ouvriers avec la permiſſion de paſſer la première semaine sur le pavé & la seconde deſſous.

— Dans votre cave, baes, si vous voulez, près des tonneaux de bruinbier, répondit Ulenſpiegel.


LXIV


Ayant quitté le charron & s’en retournant en Flandre, il dut se donner à louage d’apprenti à un cordonnier qui reſtait plus volontiers dans la rue qu’à tenir l’alène en son ouvroir. Ulenſpiegel, le voyant pour la centième fois prêt à sortir, lui demanda comment il lui fallait couper le cuir des empeignes

— Coupes-en, répondit le baes, pour de grands & de moyens pieds, afin que tout ce qui mène le gros & le menu bétail puiſſe y entrer commodément.

— Ainſi sera-t-il fait, baes, répondit Ulenſpiegel.

Quand le cordonnier fut sorti, Ulenſpiegel coupa des empeignes bonnes seulement à chauſſer cavales, âneſſes, géniſſes, truies & brebis.

De retour à l’ouvroir, le baes voyant son cuir en morceaux :

— Qu’as-tu fait là, gâcheur vaurien ? dit-il.

— Ce que vous m’avez dit, répondit Ulenſpiegel.

— Je t’ai commandé, repartit le baes, de me tailler des souliers où puiſſe