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Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/187

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Ils répondirent qu’ils ne détenaient aucun bien appartenant à l’empereur.

Le bailli dit alors gravement & triſtement :

— Les charges contre vous étant groſſes & l’accuſation motivée, il vous faudra, si vous n’avouez, subir la queſtion.

— Épargnez la veuve, diſait Ulenſpiegel. Le poiſſonnier a tout acheté.

— Pauvret, diſait Soetkin, les hommes ne savent point comme les femmes endurer la douleur.

Voyant Ulenſpiegel blême comme trépaſſé à cauſe d’elle, elle dit encore :

— J’ai haine & force.

— Épargnez la veuve, dit Ulenſpiegel.

— Prenez-moi en sa place, dit Soetkin.

Le bailli demanda au bourreau s’il tenait prêts les objets qu’il fallait pour connaître la vérité.

Le bourreau répondit :

— Ils sont ici tous.

Les juges, s’étant concertés, décidèrent que, pour savoir la vérité, il fallait commencer par la femme.

— Car, dit l’un des échevins, il n’eſt point de fils aſſez cruel pour voir souffrir sa mère sans faire l’aveu du crime & la délivrer ainſi ; de même fera toute mère, fût-elle tigreſſe de cœur, pour son fruit.

Parlant au bourreau, le bailli dit :

— Aſſieds la femme sur la chaiſe & mets-lui les baguettes aux mains & aux pieds.

Le bourreau obéit.

— Oh ! ne faites point cela, meſſieurs les juges, cria Ulenſpiegel. Attachez-moi à sa place, briſez les doigts de mes mains & de mes pieds, mais épargnez la veuve !

— Le poiſſonnier, dit Soetkin. J’ai haine & force.

Ulenſpiegel parut blême, tremblant, affolé & se tut.

Les baguettes étaient de petits bâtons de buis, placés entre chaque doigt, touchant l’os & réunis à l’aide de cordelettes par un engin de si subtile invention, que le bourreau pouvait, au gré du juge, serrer enſemble tous les doigts, dénuder les os de leur chair, les broyer ou ne cauſer au patient qu’une petite douleur.

Il plaça les baguettes aux pieds & aux mains de Soetkin.

— Serrez, lui dit le bailli.

Il le fit cruellement.