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Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/327

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Ulenſpiegel se jeta à genoux.

— Béniſſez-moi, dit-il.

Les trois prédicants étendirent la main sur la tête d’Ulenſpiegel sans dévotion.

Remarquant qu’ils étaient maigres & avaient toutefois de puiſſantes bedaines, il se releva, fit mine de choir, & cognant du front la bedaine du prédicant de haute taille, il y entendit un joyeux tintinabulement de monnaie.

Alors, se redreſſant & tirant son bragmart :

— Mes beaux pères, dit-il, il fait frais, je suis peu vêtu, vous l’êtes trop. Donnez-moi de votre laine, afin que je m’y puiſſe tailler un manteau. Je suis Gueux. Vive le Gueux !

Le grand prédicant répondit :

— Gueux accrêté, tu portes haut la crête ; nous te l’allons couper.

— Couper ! dit Ulenſpiegel en se reculant ; mais Vent-d’Acier soufflera pour vous avant de souffler pour le prince. Gueux je suis, vive le Gueux !

Les trois prédicants ahuris s’entre-dirent :

— D’où sait-il la nouvelle ? Nous sommes trahis. Tue ! Vive la Meſſe !

Et ils tirèrent de deſſous leurs chauſſes de beaux bragmarts bien affilés.

Mais Ulenſpiegel, sans les attendre, recula du côté des brouſſailles où Lamme se trouvait caché. Jugeant que les prédicants étaient à portée d’arquebuſe, il dit :

— Corbeaux, noirs corbeaux, Vent-de-Plomb va souffler. Je chante votre crevaille.

Et il croaſſa.

Un coup d’arquebuſe, parti des brouſſailles, renverſa la face contre terre le plus grand des prédicants, & fut suivi d’un second coup qui jeta sur le chemin le deuxième.

Et Ulenſpiegel vit entre les brouſſailles la bonne trogne de Lamme, & son bras levé rechargeant en hâte son arquebuſe.

Et une fumée bleue montait au-deſſus des noires brouſſailles.

Le troiſième prédicant, furieux de male rage, voulait à toute force détrancher Ulenſpiegel, lequel diſait :

— Vent-d’Acier ou Vent-de-Plomb, tu vas trépaſſer de ce monde en l’autre, infâme artiſan de meurtres !

Et il l’attaqua, & il se défendit bravement.