Aller au contenu

Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et ce non seulement dans les dunes, mais sur tous les sentiers & chemins du plat pays.

Le bailli alors dit :

— Repens-toi & prie Dieu.

Mais le poiſſonnier blaſphémant :

— C’eſt le Seigneur Dieu qui voulut que je fuſſe comme je suis : je fis tout malgré moi, incité par vouloir de Nature. Tigres méchants, vous me punirez injuſtement. Mais ne me brûlez… je fis tout malgré moi ; ayez pitié, je suis pauvre & vieux : je mourrai de mes bleſſures ; ne me brûlez point.

Il eſt amené alors en la vierſchare, sous le tilleul, pour y ouïr sa sentence, devant tout le populaire aſſemblé.

Et il fut condamné, comme horrible meurtrier, larron & blaſphémateur, à avoir la langue percée d’un fer rouge, le poing droit coupé, & à être brûlé vif à petit feu, juſqu’à ce que mort s’enſuivît devant les bailles de la Maiſon commune.

Et Toria criait :

— C’eſt juſtice, il paye !

Et le peuple criait :

Lang leven de Heeren van de wet, longue vie à Meſſieurs de la loi.

Il fut ramené en priſon, où on lui donna de la viande & du vin. Et il fut joyeux, diſant qu’il n’en avait jamais bu ni mangé juſque-là, mais que le roi, héritant de ses biens, pouvait lui payer ce dernier repas.

Et il riait aigrement.

Le lendemain, à l’aube blanche, tandis qu’on le menait au supplice, il vit Ulenſpiegel debout près du bûcher, & il cria, le montrant au doigt :

— Celui qui eſt là, meurtrier de vieillard, doit mourir pareillement ; il me jeta, il y a dix ans, dans le canal de Damme, parce que j’avais dénoncé son père. Je servis en ceci comme un sujet fidèle Sa Catholique Majeſté.

Les cloches de Notre-Dame sonnaient pour les morts.

— Pour toi pareillement sonnent ces cloches, diſait-il à Ulenſpiegel, tu seras pendu, car tu as tué.

— Le poiſſonnier ment, crièrent tous ceux du populaire ; il ment, le meurtrier-bourreau.

Et Toria, comme affolée, cria, lui jetant une pierre qui le bleſſa au front :

— S’il t’avait noyé, tu n’aurais pas vécu pour mordre comme un vampire suceur de sang, ma pauvre fillette.