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4^ OEuvRES DE Descartes. 60-61.

conftituë la forme de l'erreur. La priuation, dif-je, fe rencontre dans l'opération, en tant qu'elle procède de moy ; mais elle ne fe trouue pas dans la puidance que i'ay receuë de Dieu, ny mefme dans l'opération, en tant qu'elle dépend de luy. Car ie n'ay certes aucun fujet de me plaindre, de ce que Dieu ne m'a pas donné vne intelligence plus capable, ou vne lumière naturelle plus grande que celle que ie tiens de luy, puifqu'en effet il efl du propre de l'entendement finy, de ne pas comprendre vne infinité de chofes, & du propre d'vn entendemant créé d'eftre finy : mais i'ay tout fujet de luy rendre grâces, de ce que, ne m'ayant iamais rien deu, il m'a neantmoins donné tout le peu de perfedions qui eft en moy ; bien loin de conceuoir des fentiments fi iniufl:es, que de m'imaginer

71 qu'il I m'ait oflé ou retenu iniuftement les autres perfections qu'il ne m'a point données. le n'ay pas auffi fujet de me plaindre, de ce qu'il m'a donné vne volonté plus étendue que l'entendement-, puifque, la volonté ne confifiant qu'en vne feule chofe, & fon fujet eftant comme indiuifible, il femble que fa nature eft telle qu'on ne luy fçauroit rien ofter fans la deftruire; & certes plus elle fe trouue eftre grande, & plus i'ay à remercier la bonté de celuy qui me l'a donnée. Et enfin ie ne dois pas auflTi me plaindre, de ce que -Dieu concourt auec moy pour former les adcs de cette volonté, c'eft à dire les iugemens dans lefquels ie me trompe, parce que ces ades- là font entièrement vrays, & abfolument bons, en tant qu'ils dé- pendent de Dieu ; & il y a en quelque forte plus de perfection en ma nature, de ce que ie les puis former, que fi ie ne le pouuois pas. Pour la priuation, dans laquelle feule | confifte la raifon formelle de l'erreur & du péché, elle n'a befoin d'aucun concours de Dieu, puifque ce n'eft pas vne chofe ou vn eftre, & que, fi on la rapporte à Dieu comme à fa caufe, elle ne doit pas eftre nommée priuation, mais feulement négation, félon la fignification qu'on donne à ces mots dans l'Efchole.

Car en effed ce n'eft point vne imperfedion en Dieu, de ce qu'il m'a donné la liberté de donner mon iugement, ou de ne le pas donner, fur certaines chofes dont il n'a pas mis vne claire & diftinde

72 jronnoiffance en mon entendement ; mais fans doute | c'eft en moy

vne imperfedion, de ce que ie n'en vfe pas bien, & que ie donne témérairement mon iugement, fur des chofes que ie ne conçoy qu'auec obfcurité & confufion.

le voy neantmoins qu'il eftoit aifé à Dieu de faire en forte que ie ne me trompaffe iamais, quoy que ie demeuraffe libre, & d'vne connoiffance bornée, à fçauoir, en donnant à mon entendement

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