Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours, quels ſont les chemins que i’ay ſuiuis, & d’y repreſenter ma vie comme en vn tableau, affin que chaſcun en puiſſe iuger, & qu’apprenant du bruit commun les opinions qu’on en aura, ce ſoit vn nouueau moyen de m’inſtruire, que i’adiouſteray a ceux dont i’ay couſtume de me ſeruir.

Ainſi mon deſſein n’eſt pas d’enſeigner icy la Methode que chaſcun doit ſuiure pour bien conduire ſa raiſon, mais ſeulement de faire voir en quelle ſorte i’ay taſché de conduire la miene. Ceux qui ſe meſlent de donner des preceptes, ſe doiuent eſtimer plus habiles que ceux auſquels ils les donnent ; & s’ils manquent en la moindre choſe, ils en ſont blaſmables. Mais, ne propoſant cet eſcrit que comme vne hiſtoire, ou, ſi vous l’aymez mieux, que comme vne fable, en laquelle, parmi quelques exemples qu’on peut imiter, on en trouuera peuteſtre auſſy pluſieurs autres qu’on aura raiſon de ne pas ſuiure, i’eſpere qu’il ſera vtile a quelques vns, ſans eſtre nuiſible a perſonne, & que tous me ſçauront gré de ma franchiſe.

I’ay eſté nourri aux lettres dés mon enfance, & pource qu’on me perſuadoit que, par leur moyen, on pouuoit acquerir vne connoiſſance claire & aſſurée de tout ce qui eſt vtile a la vie, i’auois vn extreme deſir de les apprendre. Mais ſitoſt que i’eu acheué tout ce cours d’eſtudes, au bout duquel on a couſtume d’eſtre receu au rang des doctes, ie changeay entierement d’opinion. Car ie me trouuois embaraſſé de tant de doutes & d’erreurs, qu’il me ſembloit n’auoir fait autre profit, en taſchant de m’inſtruire, ſinon que i’auois découuert de plus en plus mon ignorance. Et neanmoins