Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/36

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aiuſtées au niueau de la raiſon. Et ie creu fermement que, par ce moyen, ie reuſſirois a conduire ma vie beaucoup mieux que ſi ie ne baſtiſſois que ſur de vieux fondemens, & que ie ne m’appuiaſſe que ſur les principes que ie m’eſtois laiſſé perſuader en ma ieuneſſe, ſans auoir iamais examiné s’ils eſtoient vrais. Car, bien que ie remarquaſſe en cecy diuerſes difficultez, elles n’eſtoient point toutefois ſans remede, ny comparables a celles qui ſe trouuent en la reformation des moindres choſes qui touchent le public. Ces grans cors ſont trop malayſez a releuer, eſtant abatus, ou meſme a retenir, eſtant eſbranſlez, & leurs cheutes ne peuuent eſtre que tres rudes. Puis, pour leurs imperfections, s’ils en ont, comme la ſeule diuerſité qui eſt entre eux ſuffit pour aſſurer que pluſieurs en ont, l’vſage les a ſans doute fort adoucies ; & meſme il en a euité ou corrigé inſenſiblement quantité, auſquelles on ne pourroit ſi bien pouruoir par prudence. Et enfin, elles ſont quaſi touſiours plus ſupportables que ne ſeroit leur changement : en meſme façon que les grans chemins, qui tournoyent entre des montaignes, deuienent peu a peu ſi vnis & ſi commodes, a force d’eſtre frequentez, qu’il eſt beaucoup meilleur de les ſuiure, que d’entreprendre d’aller plus droit, en grimpant au deſſus des rochers, & deſcendant iuſques au bas des precipices.

C’eſt pourquoy ie ne ſçaurois aucunement approuuer ces humeurs brouillonnes & inquietes, qui, n’eſtant appelez, ny par leur naiſſance, ny par leur fortune, au maniement des affaires publiques, ne laiſſent pas d’y faire touſiours, en idée, quelque nouuelle refor-