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Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/39

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de tant de circonſpection en toutes choſes, que, ſi ie n’auançois que fort peu, ie me garderois bien, au moins, de tomber. Meſme ie ne voulu point commencer a reietter tout a fait aucune des opinions, qui s’eſtoient pû gliſſer autrefois en ma creance ſans y auoir eſté introduites par la raiſon, que ie n’euſſe auparauant employé aſſez de tems a faire le proiet de l’ouurage que i’entreprenois, & a chercher la vraye Methode pour paruenir a la connoiſſance de toutes les choſes dont mon eſprit ſeroit capable.

I’auois vn peu eſtudié, eſtant plus ieune, entre les parties de la Philoſophie, a la Logique, & entre les Mathematiques, a l’Analyſe des Geometres & a l’Algebre, trois ars ou ſciences qui ſembloient deuoir contribuër quelque choſe a mon deſſein. Mais, en les examinant, ie pris garde que, pour la Logique, ſes ſyllogiſmes & la pluſpart de ſes autres inſtructions ſeruent plutoſt a expliquer a autruy les choſes qu’on ſçait, ou meſme, comme l’art de Lulle, a parler, ſans iugement, de celles qu’on ignore, qu’a les apprendre. Et bien que elle contiene, en effect, beaucoup de preceptes tres vrais & tres bons, il y en a toutefois tant d’autres, meſlez parmi, qui ſont ou nuiſibles ou ſuperflus, qu’il eſt preſque auſſy malayſé de les en ſeparer, que de tirer vne Diane ou vne Minerue hors d’vn bloc de marbre qui n’eſt point encore eſbauché. Puis, pour l’Analyſe des anciens & l’Algebre des modernes, outre qu’elles ne s’eſtendent qu’a des matieres fort abſtractes, & qui ne ſemblent d’aucun vſage, la premiere eſt touſiours ſi aſtrainte a la conſideration des figures, qu’elle ne peut exercer l’entende-