Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/79

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pondre au ſens de tout ce qui ſe dira en ſa preſence, ainſi que les hommes les plus hebetez peuuent faire. Et le ſecond eſt que, bien qu’elles fiſſent pluſieurs choſes auſſy bien, ou peuteſtre mieux qu’aucun de nous, elles manqueroient infalliblement en quelques autres, par leſquelles on découuriroit quelles n’agiroient pas par connoiſſance, mais ſeulement par la diſpoſition de leurs organes. Car, au lieu que la raiſon eſt vn inſtrument vniuerſel, qui peut ſeruir en toutes ſortes de rencontres, ces organes ont beſoin de quelque particuliere diſpoſition pour chaque action particuliere ; d’où vient qu’il eſt moralement impoſſible qu’il y en ait aſſez de diuers en vne machine, pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie, de meſme façon que noſtre raiſon nous fait agir.

Or, par ces deux meſmes moyens, on peut auſſy connoiſtre la difference, qui eſt entre les hommes & les beſtes. Car c’eſt vne choſe bien remarquable, qu’il n’y a point d’hommes ſi hebetez & ſi ſtupides, ſans en excepter meſme les inſenſez, qu’ils ne ſoient capables d’arrenger enſemble diuerſes paroles, & d’en compoſer vn diſcours par lequel ils facent entendre leurs penſées ; et qu’au contraire, il n’y a point d’autre animal, tant parfait & tant heureuſement né qu’il puiſſe eſtre, qui face le ſemblable. Ce qui n’arriue pas de ce qu’ils ont faute d’organes, car on voit que les pies & les perroquets peuuent proferer des paroles ainſi que nous, & toutefois ne peuuent parler ainſi que nous, c’eſt a dire, en teſmoignant qu’ils penſent ce qu’ils diſent ; au lieu que les hommes qui, eſtans nés ſours & muets, ſont priuez des organes qui ſeruent aux au-