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une nuit d’angoisse

C’est donc une heure avancée de la soirée.

Devant le petit campement cité plus haut, les restes d’un souper copieux, épars sur la neige foulée, répandent leur odeur alléchante. Le firmament s’est dégagé de son voile obscur ; la forêt, sous les rameaux touffus, devient lumineuse et propice aux rondes nocturnes des carnassiers.

Voici que dans la douceur neuve de cette nuit où passe le vent tiède du sud-ouest, un ours s’est réveillé de son lourd sommeil. Il est sorti de son antre… Il a faim… Il renifle dans la brise qui vient, quelque chose de très bon… N’a-t-il pas aussi flairé la chair humaine ?…

Et lourdement, dans la neige molle, faisant de sa gaucherie bête crier les bois morts sous ses pattes, il avance… Il écoute… Un ruisseau clapote sur la roche : ce sera l’eau fraîche après les viandes fortes. Il regarde… Cette tente qu’il jettera bas : la sieste sur la toile, après la bombance… Fini, fini, son jeûne hivernal !… Il est la force !… Il va… La branche craque… Ce bruit ? Ji-Ji l’entend… veut savoir… il sort, le jeune étourdi, heurte le monstre, pousse un cri. Gaudreau s’élance… et c’est lui que le monstre étreint. Mais alors le petit Français agile saisit son arme, vise, tire ! L’ours et Gaudreau, l’un sur l’autre, tombent, s’écrasent… L’ours est mort, Gaudreau, vivant… Dieu soit béni !…