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TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

longtemps ? Pourquoi ce souvenir aigu, qui jette une ombre sur les heures roses où s’est réalisé le rêve caressé, sur la blonde chevelure longtemps entrevue, sur les papillons azurés du calme et de la béatitude ? Quel philtre mystérieux renferme cette eau fraîche, cristalline, de saveur délicieuse qui n’étanche pas la soif, mais altère à jamais celui qui en goûte ?

En vérité, il est difficile d’initier le sédentaire à ce charme. Autant que pénétrant il est subtil, tellement qu’il échappe à la parole comme à la fine pointe de la plume.

Voyez. Le manger est médiocre. L’eau est médiocre. Le coucher est médiocre et la santé parfois précaire. Seules, la chaleur et la fatigue sont de qualité supérieure. Et cependant tout cela vous donne du contentement plein le cœur.

Évidemment, ce n’est ni la médiocrité de ceci, ni l’intensité de cela qui rendent si exquises les heures de brousse. Ce sont les sensations qui se greffent autour des incommodités et les tableaux qui les accompagnent. C’est l’ensemble de la vie des gens, des bêtes, des forêts et des plaines, restés tels qu’il y a des milliers et des milliers d’années. C’est vous, les contemplant avec des milliers d’années de civilisation dans les veines.

C’est — mais à distance tout cela ne paraîtra-t-il pas bizarre et incompréhensible ? — la tournure que ces gens donnent à l’expression de leur pensée. On est abordé par des colosses qui vous émietteraient avec deux doigts seulement et qui vous disent avec humilité : « Salut, je suis un pauvre de Dieu. » En revanche dans un autre village, c’est un chef vieux et squelettique qui semble totalement ignorer votre arrivée, votre présence, votre visite même. Vous êtes devant lui, tout près, vous le touchez du pied. Lui, accroupi, continue impassiblement la lecture de son Koran, plein d’un dédain superbe. Et l’on s’attend à voir siffler quelque lance,