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LE NIGER

pour porter au loin les pirogues fluettes et animer d’un joli grouillement tous ces tableaux que tu crées.

Mais à tes côtés toute cette vie semble une vie de pygmées !

Ta largeur n’est-elle pas telle que les ponts jamais ne pourront t’étreindre de leurs bras de fer, ni te fouler de leurs pieds de pierre ?

Aussi villes, villages, troupeaux sur tes bords paraissent des joujoux, et encore des joujoux de poupées. Les arbres géants de tes rives ne se perçoivent guère autrement que ces arbres nains chers aux Japonais. Et les nègres, debout sur leurs sombres pirogues, semblent en ta présence des brins de cheveux noirs épars sur un blond océan.

En vérité, ô Niger ! plutôt qu’un fleuve tu es un océan au milieu des terres.

Ton cours en a les vastes et humides horizons. Par lui porté, le voyageur, apercevant à peine les terres, se laisse aller à ces rêveries infinies qui le hantent en face de l’infini de la mer. Sur le rivage tes flots viennent se briser avec le bruit des vagues, et se répètent en monotone cadence comme sur les côtes de la Méditerranée, ourlant les rives de blanches dentelles.

Puis, si le vent s’élève, des moutons blancs et de grandes lames apparaissent ainsi qu’en mer, et aussi les embruns. Lorsque ce vieil adversaire, le Sahara, envoie à l’encontre de ton cours ses grandes brises entraînées à la violence dans ses plaines sans obstacles, tu te cabres en raz de marée et en vagues hautes. Les embarcations roulent et tanguent et alors, par le mal de mer, tu convaincs les plus rebelles que tu es, toi aussi, frère des grands océans, ô Niger !