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LA POLITIQUE ET LA LITTÉRATURE

bouts, ils étaient bien vêtus et bien nourris ; alors ils pouvaient penser, cueillir des récits sur toutes les lèvres, composer et écrire. Depuis cent ans ce n’est que guerres et ruines : nous n’avons connu la sécurité que depuis l’arrivée des Français. Aujourd’hui, les marabouts courent à droite et à gauche pour pouvoir manger. L’éducation des enfants nous rapporte très peu ; quelquefois on nous demande des talismans, on nous fait écrire des lettres ou copier un livre de prières. C’est insuffisant pour vivre. Aussi beaucoup s’adonnent-ils au commerce. Absorbés par le souci de ne pas mourir de faim, où trouveraient-ils dès lors le temps d’écrire ? »

J’ai montré sous tous ses aspects la ville de jadis, Tombouctou la Grande.

Que l’on se reporte maintenant à ces temps de splendeur où la ville était riche, sainte et lettrée. Imaginez, d’autre part, les caravanes du Maroc, du Touat, de Tripoli, cheminant et des semaines et des mois à travers l’immensité des sables, où l’oiseau lui-même se perd.

Les plaines de stérilité succèdent aux paysages de désolation. Le sol brûle. Le ciel flamboie. La peau se fendille. Les lèvres sont craquelées. L’eau, même chaude et impure, ne leur parvient jamais à satiété. Sur le chemin, rappelant la vie, glisse parfois une vipère cornue, ou passe la rapide silhouette d’une antilope. À la grande étape, la vision de Taoudenni, l’horrescente ville de sel. L’œil n’a eu, pour se réjouir, que le néant des mirages, durant des semaines, durant des mois.

Un matin, trois petites taches noires pointent dans l’horizon incandescent. Les chameaux ne grognent plus. Ils rugissent. Les trois minarets se précisent. Tombouctou découpe son profil majestueux. Voici ses jardins, ses pal-