Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome IX.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page n’a pas pu être entièrement corrigé, à cause d’un problème décrit en page de discussion.
183
L’ÉQUILIBRE DE LA TERRE ET DES MERS. — II

part, il fallait définir le lieu propre l’αὐτοῦ τόπος d’un élément, qui est le lieu vers lequel l’élément se meut de mouvement naturel et dans lequel il se repose ; d’autre part, il fallait marquer l’espace propre, l’αὐτοῦ χώρα du même élément, c’est-à-dire l’orbe sphérique qu’il occupe quand les divers corps se sont superposés suivant l’ordre que leur assigne leur gravité. L’espace propre de l’eau, c’est la couche comprise entre deux certaines surfaces sphériques concentriques au Monde ; le lieu propre de l’eau, c’est le centre même du Monde.

En son lieu propre, un élément demeure naturellement en repos ; il ne se meut plus de mouvement naturel ; il ne tend pas à quitter la position qu’il occupe ; il n’exerce aucune pression sur les corps qui l’entourent ; il n’a donc ni gravité ni légèreté ; au centre du Monde, une masse d’eau ne serait plus pesante. Il n’en est pas de même lorsqu’une masse d’eau se trouve dans son espace propre ; si elle y demeure immobile, ce n’est pas d’elle-même et par nature ; c’est parce qu’il y a, au-dessous d’elle, des corps plus graves qui l’empêchent de descendre au centre du Monde ; mais elle y tomberait si l’on ôtait ces obstacles et, maintenus par eux, elle exerce sur eux une certaine pression ; dans son espace propre, donc, elle garde son poids.

Telle est, très certainement, la pensée habituelle d’Aristote, encore que certains souvenirs de l’enseignement de Platon aient, parfois, mis quelque trouble dans cette distinction du lieu propre et de l’espace propre[1].

Cette distinction, Averroès la méconnaît entièrement ; très formellement, nous l’avons entendu déclarer[2] que le lieu propre vers lequel un corps se meut de mouvement naturel, c’est la surface qui est destinée à le contenir ; partant, le terme auquel l’eau tend par son mouvement naturel, ce n’est pas le centre du Monde ; c’est la surface concave de la sphère de l’air ; le lieu propre est donc identique à l’espace propre.

Dès lors, Averroès devrait logiquement concéder à Thémistius que l’eau n’est ni grave ni légère, lorsqu’elle se trouve dans cette région propre, entre la surface terrestre et la concavité de l’atmosphère. Mais que deviendrait, en ce cas, la lettre d’Aristote, dont le Commentateur de Cordoue se montre, en toutes circonstances, le gardien si étrangement jaloux ? Voici par quel artifice elle sera sauvée[3] :

  1. Voir : Chapitre précédent, p. 89-90.
  2. Voir : Chapitre précédent, p. 106-107.
  3. Averrois Cordubensis Paraphrasis in libros Aristotelis de Cælo et Mundo, lib. IV, Summa III, cap. II. — Cf. Averrois Cordubensis Commentarti in libros Aristotelis de Cælo et Mundo, lib. IV, summa III, cap. II, comm. 30. Dans ce dernier ouvrage, la pensée d’Averroès ne se montre pas aussi clairement que dans le premier.