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Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/24

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CHAPITRE V

Par une sombre et froide soirée d’automne, un jeune homme, au visage pâle et triste, se promenait sur la rue St Laurent, passant et repassant, devant la maison de M. Renaud.

C’était Xavier LeClerc.

De temps en temps, il levait les yeux vers les fenêtres du premier étage, où brillait une joyeuse lumière ; de temps en temps, il s’arrêtait quelques instants devant la maison ; puis il reprenait sa marche désespérée, le cœur brisé par mille regrets cruels.

Son esprit, retournant vers le passé, retraçait toutes les occasions dans lesquelles il avait joui de la présence de sa bien-aimée ; il se rappelait les espérances qui remplissaient son cœur chaque fois qu’il recevait d’elle une marque d’amitié ; il la voyait comme il l’avait vue si souvent, joyeuse, aimable et souriante ; il croyait sentir encore le doux contact de la petite main qu’il avait si souvent pressée dans la sienne. Puis, tout-à-coup, la réalité se dressait devant lui, sombre et sans espoir et se souvenait que Maria était perdue pour lui.

Un soir qu’il revenait du magasin, il s’était rencontré avec le père de Maria, qui l’avait abordé sans façon et lui avait intimé l’ordre de ne plus se présenter à sa maison, attendu qu’il ne voulait plus y revoir un jeune homme qui fréquentait les cabarets et s’y enivrait avec des compagnons dissipés comme lui.

Xavier qui ne mettait jamais le pied dans un cabaret, et qui n’avait pour ami que deux ou trois jeunes gens aussi rangés que lui, s’était troublé plus qu’il ne l’aurait sans doute fait, s’il eut été coupable. L’étonnement et l’indignation avaient paralysé sa voix, et avant qu’il put reprendre assez de sang froid pour essayer de se disculper, M. Renaud s’était éloigné rapidement.

Après avoir réfléchi longuement, Xavier s’était dit que ces calomnies n’avaient pu être inventées par d’autre que le veuf, car nul autre que lui n’avait intérêt à le perdre auprès du père de Maria.

Cette pensée le décourageait profondément, car il savait que M. Renaud tenait le veuf en si haute estime qu’il n’y aurait pas eu moyen de lui faire comprendre que celui ci l’avait trompé dans ses rapports sur son rival.