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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/129

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pus ou sifflés, d’où partent d’ordinaire maintenant les applaudissements comme des vols d’oiseaux avec de grands bruits d’ailes et qui étaient jadis des champs de bataille piétines, des redoutes prises et reprises, des embuscades où l’on s’attendait au détour d’une épithète, des relais de meutes pour sauter à la gorge d’une métaphore poursuivie, on éprouve une surprise indicible que les générations actuelles, débarrassées de ces niaiseries par nos vaillants efforts, ne comprendront jamais tout à fait. Comment s’imaginer qu’un vers comme celui-ci :

Est-il minuit ? — Minuit bientôt


ait soulevé des tempêtes et qu’on se soit battu trois jours autour de cet hémistiche ? On le trouvait trivial, familier, inconvenant ; un roi demande l’heure comme un bourgeois et on lui répond comme à un rustre : minuit. C’est bien fait. S’il s’était servi d’une belle périphrase, on aurait été poli ; par exemple :


                                                   — l’heure
Atteindra bientôt sa dernière demeure.


Si l’on ne voulait pas de mots propres dans les vers, on y supportait aussi fort impatiemment les épithètes, les métaphores, les comparaisons, les mots poétiques enfin, — le lyrisme, pour tout dire, ces échappées rapides vers la nature, ces élans de l’âme au-dessus de la situation, ces ouvertures de la poésie à travers le drame, si fréquentes dans Shaks-