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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/163

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cercueil. Cet affreux malheur ne peut être imputé ni à lui ni aux autres, — amère consolation, mais consolation, du moins. Dans l’affliction que cause sa perte, il n’y a aucun remords, et personne n’a à se reprocher de ne pas l’avoir assez aimé.

Qu’on ne vienne pas faire sur cette tombe qui va s’ouvrir des nénies littéraires, ni évoquer les lamentables ombres de Gilbert, de Malfilâtre et d’Hégésippe Moreau ; Gérard de Nerval n’a été ni méconnu ni repoussé, il faut le dire à l’honneur du siècle, qui a bien assez de ses autres torts ; la célébrité, sinon la gloire, l’avait visité sur les bancs de la classe où l’on nous proposait comme modèle le jeune Gérard, auteur des Élégies nationales et l’honneur du collège Charlemagne. Lorsqu’à dix-huit ans il fit paraître de Faust une traduction devenue classique, le grand Wolfgang Gœthe, qui trônait encore avec l’immobilité d’un dieu sur son olympe de Weimar, s’émut pourtant et daigna lui écrire de sa main de marbre cette phrase dont Gérard, si modeste, d’ailleurs, s’enorgueillissait à bon droit et qu’il gardait comme un titre de noblesse : « Je ne me suis jamais si bien compris qu’en vous lisant. » Tous les théâtres, tous les journaux, ont été ouverts en tout temps à ce pur et charmant écrivain, qui à l’esprit le plus ingénieux, au caprice le plus tendre, joignait une forme sobre, délicate et parfaite. Les revues les plus fermées et les plus dédaigneuses s’honoraient de voir son nom au bas de leurs pages, et de sa part regardaient la promesse d’un article comme une faveur ; la Presse