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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/165

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façon, et il était de ceux qui, en hiver, mettent leur paletot en gage pour acheter une épingle en turquoise ou un anneau cabalistique. — Quoique souvent on le rencontrât sous des apparences délabrées, il ne faudrait pas croire à une misère réelle. — Sans parler de ce que pouvait lui produire le théâtre, le journal ou le livre, il avait à lui les maisons et la bourse bien ou mal garnie de ses amis dans les moments où son cerveau se refusait au travail. Qui de nous n’a arrangé dix fois une chambre avec l’espoir que Gérard y viendrait passer quelques jours, car nul n’osait se flatter de quelques mois, tant on lui savait le caprice errant et libre ! Comme les hirondelles, quand on laisse une fenêtre ouverte, il entrait, faisait deux ou trois tours, trouvait tout bien et tout charmant, et s’envolait pour continuer son rêve dans la rue. Ce n’était nullement insouciance ou froideur ; mais, pareil au martinet des tours, qui est apode et dont la vie est un vol perpétuel, il ne pouvait s’arrêter. Une fois que nous avions le cœur triste pour quelque absence, il vint demeurer de lui-même quinze jours avec nous, ne sortant pas, prenant tous ses repas à notre heure, et nous faisant bonne et fidèle compagnie. Tous ceux qui le connaissent bien diront que, de sa part, c’est une des plus fortes preuves d’amitié qu’il ait données à personne, Et pourtant quelle obligeance inépuisable, quelle vivacité à rendre service, quel oubli parfait de lui dans ses relations ! Que de courses énormes il a faites à pied, par des temps horribles,