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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/177

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à peine éclairée par une lampe avare et dans laquelle la lune plongeait par les carreaux brouillés avec son regard blanc et son visage de morte, — triste et seule compagne d’une âme à l’agonie, inspiratrice défaillante d’un travail convulsivement découragé. Cet étroit grabat, plus semblable à un cercueil qu’à un lit, plus fait pour le cadavre que pour le corps, au bord duquel Chatterton veut forcer sa pensée vierge à se donner pour de l’argent comme une courtisane, a produit un effet sinistre. Plus d’un écrivain, dans la salle, a pu reconnaître là le tableau, exagéré sans doute, mais foncièrement vrai, de ses lassitudes, de ses luttes intérieures et de ses abattements. Oui, certes, il est dur, lorsque la Chimère vous sourit, de son sourire langoureusement perfide, vous caresse de ses yeux qui promettent l’amour, le bonheur et la gloire par des scintillations étranges, vous fouette le front du vent de ses ailes en partance pour l’infini et vous laisse mettre familièrement la main sur sa croupe de lionne, de la laisser s’envoler seule, dépitée et méprisante comme une femme dont on n’a pas compris l’aveu et de s’atteler piteusement à la lourde charrette de quelque besogne commandée. — Mais qu’y faire ? — Se rattacher à quelque devoir, à quelque amour, à quelque dévouement, traduire le prix de ce travail rebutant en sécurité, en bien-être, en aisance pour des têtes chères, et sacrifier courageusement son orgueil sur l’autel du foyer domestique. Eh bien, vous ne serez ni Homère, ni Dante, ni Shakspeare ;