Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/21

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et de part et d’autre on se méprisait parfaitement.

En ce temps-là, notre vocation littéraire n’était pas encore décidée, et l’on nous aurait bien étonné si l’on nous eût dit que nous serions journaliste. La perspective d’un tel avenir nous eût assurément peu séduit. Notre intention était d’être peintre, et dans cette idée nous étions entré à l’atelier de Rioult, situé près du temple protestant de la rue Saint-Antoine, et que sa proximité du collège Charlemagne, où nous finissions nos études, nous rendait préférable à toute autre par la facilité qu’elle nous donnait de combiner les séances et les classes. Bien des fois nous avons regretté de ne pas avoir suivi notre première impulsion.

On voit ce qu’on a fait, et la réalité toujours sévère vous donne votre mesure, mais on peut rêver ce qu’on aurait fait bien plus beau, bien plus grand, bien plus magnifique ; — la page a été noircie, la toile est restée blanche, et rien n’empêche d’y supposer, comme le Frenhœffer du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, une Vénus près de laquelle les femmes nues du Titien ne seraient que d’informes barbouillages. Innocente illusion, secret subterfuge de l’amour propre qui ne fait de mal à personne et qui console toujours un peu : il est doux de se dire, quand on a jeté le pinceau pour la plume : Quel grand peintre j’aurais été ! Pourvu que nos lecteurs ne soient pas de notre avis et ne trouvent pas aussi que nous eussions mieux fait de persister dans notre première voie !