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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/231

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rilhat n’était pas parti encore. Ce fut E. Delacroix qui, pittoresquement, découvrit l’Afrique. On sait avec quel éclat de soleil et quelle transparence d’ombre il peignit les Femmes d’Alger, ce bouquet de fleurs vivantes, la Noce juive, l’Empereur Muley-Abder-Rhaman, les Convulsionnistes de Tanger et tant d’autres scènes de la vie arabe. Il prit en Orient le goût des chevaux, des lions et des tigres, qu’il peignit comme Barye les sculpte, avec une puissance de couleur, un frémissement de vie et une férocité incroyables. Ah ! ce ne sont pas des lions classiques coiffés d’une perruque à la Louis XIV et tenant une boule sous la patte que les lions de Delacroix ! Ils froncent leurs masques terribles, hérissent leurs fauves crinières, allongent leurs ongles tranchants, et semblent provoquer la zagaie barbelée du Cafre ou la balle conique de Jules Gérard.

Les peintures murales de la salle du Trône à la Chambre des députés révèlent chez Delacroix d’admirables aptitudes décoratives. Son style s’agrandit tout à coup ; sa couleur, tout en restant chaude, intense et vivace, prit la tranquillité lumineuse de la fresque et se suspendit aux murailles comme une tapisserie riche et moelleuse. Les nécessités de l’allégorie, car il n’est guère possible de placer des scènes de la vie réelle dans les plafonds, les coupoles, les pendentifs et les tympans, le forcèrent d’aborder le nu et la draperie, et il s’en tira à merveille. Il entendit l’antique comme Shakspeare dans