Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cipent à la scène qu’ils entourent ; ils sont orageux ou clairs, unis ou tourmentés, sans feuilles ou verdoyants, calmes ou convulsifs, ruinés ou magnifiques, mais toujours ils semblent épouser les colères, les haines, les douleurs et les tristesses des personnages. Il serait impossible de les en détacher. Les figures elles-mêmes ont des costumes, des draperies, des armes et des accessoires significatifs qui ne pourraient servir à d’autres. Tout se lient, tout est lié et forme un ensemble magique dont aucune partie ne saurait être retranchée ou transposée sans faire écrouler l’édifice. En art, nous ne connaissons que Rembrandt qui ait cette unité profonde et indissoluble. Cela tient à ce que ces deux grands maîtres créent par une sorte de vision intérieure qu’ils ont le don de rendre sensible avec les moyens qu’ils possèdent, et non par l’étude immédiate du sujet. Rembrandt, comme Delacroix, a son architecture, son vestiaire, son arsenal, son musée d’antiques, ses types et ses formes, sa lumière et sa nuit, ses gammes de ton qui n’existent pas ailleurs et dont il sait tirer des effets merveilleux, rendant le fantastique plus vrai que la réalité.

Ce caractère du génie d’Eugène Delacroix ne nous semble pas avoir été suffisamment compris, même en ces derniers temps où les admirateurs tardifs ne lui manquèrent pas. C’est par cette refonte et cette création à nouveau du sujet que l’artiste sut rester si original en traitant des scènes tirées de drames, de poèmes et de romans, au lieu de scènes puisées