Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/237

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taille, d’une sveltesse robuste, à la mine fière et hardie ; il portait les cheveux coupés en brosse, des moustaches retroussées en croc, une longue barbe pointue, « effroi du bourgeois glabre. » La barbe, si généralement admise aujourd’hui, paraissait encore à cette époque une chose farouche, barbare et monstrueuse. Mais les peintres romantiques ne tenaient pas à réaliser l’idéal du parfait notaire ; ils recherchaient tout ce qui pouvait les distinguer des philistins. Eugène Dévéria avait le goût des ajustements fastueux comme un Vénitien du seizième siècle. Il aimait le satin, le damas, les joyaux, et se serait volontiers promené en robe de brocart d’or comme un Magnifique de Titien ou de Bonifazio. Ne pouvant porter tout à fait le costume de son talent, il essayait de modifier l’affreux habit moderne. Ses fracs évasés, rejetés sur les épaules, faisaient miroiter de larges revers de velours, et dégageaient la poitrine bombée par des gilets en forme de pourpoint. Ses chapeaux rappelaient le feutre de Rubens. De fortes bagues avec des pierres gravées pour chaton, d’épaisses chevalières d’or brillaient à ses doigts, et quand il allait dans la rue, un ample manteau drapé à l’espagnole complétait ces élégantes excentricités pittoresques.

Ces fantaisies de costume sembleraient étranges maintenant, mais alors on les trouvait naturelles : — le mot artiste excusait tout, et chacun, poëte, peintre ou sculpteur, suivait à peu près son caprice.