Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/252

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néophytes qu’ils menaient mystérieusement contempler le chef-d’œuvre repoussé. C’est ainsi que nous vîmes pour la première fois l’Allée de châtaigniers de Théodore Rousseau. L’impression que produisit sur nous cette peinture si forte, si drue, d’une fraîcheur si vigoureuse, tout imbibée des sèves de la nature et des souffles de l’atmosphère, on peut facilement le comprendre. Trente ans n’ont pas affaibli le souvenir de cette surprise, et en retrouvant chez Khalil Bey le tableau devenu célèbre, nous avons éprouvé le même effet qu’autrefois. C’estpour notre âge mûr une vraie satisfaction que de n’avoir rien à réformer des admirations de notre jeunesse. Ce que nous avons trouvé beau jadis l’est encore et le sera probablement toujours, car pour beaucoup de ceux que nous aimions, la postérité a déjà commencé. Si la vie ne nous a pas tenu toutes ses promesses, l’art au moins, rendons-lui cette justice, ne nous a jamais trompé. Aucun des dieux que nous avons adorés n’est un faux dieu, et nous pouvons continuer à brûler devant eux un encens légitime. Hélas ! pourquoi faut-il que nous en jetions si souvent les grains sur la flamme d’un trépied funèbre !

Les tableaux d’un paysagiste n’ont pas, comme ceux d’un peintre d’histoire, de nom spécial qui les distingue. Il n’y a ni fait ni anecdote dans le paysage tel que le concevait Rousseau. Les personnages n’y interviennent que comme d’agréables taches de couleur, et n’ont pas plus d’importance qu’ils n’en