Aller au contenu

Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Banville est exclusivement poète ; pour lui, la prose semble ne pas exister ; il peut dire, comme Ovide : « Chaque phrase que j’essayais d’écrire était un vers. » De naissance, il eut le don de cette admirable langue que le monde entend et ne parle pas ; et de la poésie, il possède la note la plus rare, la plus haute, la plus ailée, le lyrisme. Il est, en effet, lyrique, invinciblement lyrique, et partout et toujours, et presque malgré lui, pour ainsi dire. Comme Euphorion, le symbolique enfant de Faust et d’Hélène, il voltige au-dessus des fleurs de la prairie, enlevé par des souffles qui gonflent sa draperie aux couleurs changeanles et prismatiques. Incapable de maîtriser son essor, il ne peut effleurer la terre du pied sans rebondir aussitôt jusqu’au ciel et se perdre dans la poussière dorée d’un rayon lumineux.

Dans les Stalactites, cette tendance se prononce encore davantage, et l’auteur s’abandonne tout entier à son ivresse lyrique. Il nage au milieu des splendeurs et des sonorités, et derrière ses stances flamboient comme fond naturel les lueurs roses et bleues des apothéoses : quelquefois c’est le ciel avec ses blancheurs d’aurore ou ses rougeurs de couchant ; quelquefois aussi la gloire en feux de Bengale d’une fin d’opéra. Banville a le sentiment de la beauté des mois ; il les aime riches, brillants et rares, et il les place sertis d’or autour de son idée comme un bracelet de pierreries autour d’un bras de femme ; c’est là un des charmes et peut-être le plus grand de ses vers. On peut leur appliquer ces