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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/353

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Nous l’avons dit, Leconte de Lisle est créole, et, quoiqu’il n’ait pas subi l’énervante influence du climat, il excelle à reproduire cette nature si riche et si colorée avec sa flore, dont les noms résonnent voluptueusement à l’oreille comme de la musique, et semblent répandre des parfums inconnus. La ravine Saint-Gilles, le Manchy, le Sommeil du condor expriment avec un éclat incomparable ce monde étincelant, où les fleurs s’épanouissent au milieu d’une fraîcheur embrasée.

Mais le chef-d’œuvre peut-être du poëte est une pièce intitulée Midi, que sait par cœur quiconque en France aime encore les vers. La scène semble se passer dans un paysage de la Provence, de l’Italie méridionale ou de l’Afrique du Nord, car ce n’est plus la luxuriante végétation des forêts vierges, mais le feuillage sobre et la ligne accusée de l’Europe. Midi, l’heure de l’implacable clarté et du soleil vertical versant ses rayons plombés sur la terre silencieuse, l’heure qui ne laisse à l’ombre qu’une étroite ligne bleue au bord des bois où rêvent les bœufs agenouillés dans l’herbe. Midi convient à ce poète ferme et précis, ennemi des contours vaporeux et fuyants. Il sait en rendre, mieux que personne ne l’a fait avant lui, l’accablement lumineux et la sereine tristesse. Dans ses vers, la flamme de l’atmosphère semble danser aux chants des cigales ; mais le poète ne demande aucune consolation à la nature indifférente et morne ; il n’implore d’elle que son éternel repos et son néant divin.