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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/37

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nous offraient pour réaliser notre rêve de beauté, mais l’ascendant du maître nous entraînait dans son lumineux sillage, nous faisant oublier qu’il est encore plus difficile d’être un grand poëte que d’être un grand peintre.

Gœthe l’impassible a connu ces agitations, ces tentatives, ces travaux pour s’assimiler un nouveau moyen d’expression, et dans ses épigrammes de Venise, il écrivait : « J’ai essayé bien des choses, j’ai beaucoup dessiné, gravé sur cuivre, peint à l’huile ; j’ai aussi bien souvent pétri l’argile, mais je n’ai pas eu de persévérance, et je n’ai rien appris, rien accompli. Dans un seul art je suis devenu presque un maître, dans l’art d’écrire en allemand, et c’est ainsi, poëte malheureux, que je perds hélas ! sur la plus ingrate matière — la vie et l’art… Que voulut faire de moi la destinée ? il serait téméraire de le demander, car le plus souvent de la plupart des hommes elle ne veut pas faire grand’chose !… Un poëte ? elle aurait réussi à en faire un de moi si la langue ne s’était pas montrée absolument rebelle. »

Puissions-nous, après tant d’années de labeurs et de recherches poussées en divers sens, être aussi devenu presque un maître dans un seul art, dans l’art d’écrire en français ! Mais de telles ambitions nous sont interdites.

Il y a dans tout groupe une individualité pivotale, autour de laquelle les autres s’implantent et gravitent comme un système de planètes autour de leur astre.