Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/371

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une analogie tirée d’un auteur américain que certes Baudelaire avait dû connaître.

« On lit dans les Contes de Nathaniel Hawthorne la description d’un jardin singulier où un botaniste toxicologue a réuni la flore des plantes vénéneuses : ces plantes aux feuillages bizarrement découpés, d’un vert noir ou minéralement glauque, comme si le sulfate de cuivre les teignait, ont une beauté sinistre et formidable. On les sent dangereuses malgré leur charme ; elles ont dans leur attitude hautaine, provocante ou perfide, la conscience d’un pouvoir immense ou d’une séduction irrésistible ; de leurs fleurs férocement bariolées et tigrées, d’un pourpre semblable à du sang figé ou d’un blanc chlorotique, s’exhalent des parfums acres, pénétrants, vertigineux. Dans leurs calices empoisonnés, la rosée se change en aqua-tofana, et il ne voltige autour d’elles que des cantharides cuirassées d’or vert, ou des mouches d’un bleu d’acier dont la piqûre donne le charbon. L’euphorbe, l’aconit, la jusquiame, la cigué, la belladone y mêlent leurs froids venins aux ardents poisons des tropiques et del’Inde. Le mancenillier y montre ses petites pommes mortelles comme celles qui pendaient à l’arbre de science ; l’upa distille son suc laiteux plus corrosif que l’eau-forte. Au-dessus du jardin flotte une vapeur malsaine qui étourdit les oiseaux lorsqu’ils la traversent. Cependant la fille du docteur vit impunément au milieu de ces miasmes méphitiques ; ses poumons aspirent sans danger cet air où tout