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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/387

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mie. La nature des tropiques souvent décrite, rarement chantée, revit dans ces paysages, presque tous empruntés à l’île Bourbon, l’île natale du poëte, l’une des plus belles des mers de l’Inde. Ce que l’auteur de Paul et Virginie a fait avec la langue de la prose, Lacaussade a pensé qu’il pouvait le tenter avec la langue des vers. Il se circonscrit et se renferme volontiers dans son île comme Brizeux dans sa Bretagne. Il s’en est fait le chantre tout filial. Il en dit avec amour les horizons, le ciel, les savanes, les aspects tantôt riants, tantôt sévères ; il lui emprunte le cadre et le fond de ses tableaux. Les pièces qui nous semblent résumer le mieux sa première veine d’inspiration sont celles qu’il intitule : Souvenir d’Enfance, le Champ borne, le Cap Bernard et surtout le Bengali.

À quelques années d’intervalle, le poëte, loin de son île enchanteresse, assombri par la nostalgie de l’azur et l’expérience amère de la vie, a fait paraître un autre volume que désigne un titre découragé : Épaves, comme si un naufrage inconnu avait jeté à la côte, parmi des débris de navire, ces vers qui méritent si bien d’aborder au port à pleines voiles et par une brise heureuse. Que sa nef dans la traversée ait été battue des vents, que peut-être, pour l’alléger, le nautonier ait été forcé de jeter à la mer bien des choses précieuses, nous le comprenons ; mais nous n’admettons pas que le vaisseau lui-même ait sombré. La tristesse du poëte est mâle ; elle résiste à la douleur en l’acceptant avec un calme stoï-