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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/389

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les et aux mythologies surannées, la doctrine de l’art pour l’art, le soin puéril de la forme en dehors de l’idée et tout ce qu’on peut reprocher à de pauvres poëtes qui n’en peuvent mais.

Il essaye ensuite de réaliser ses théories, et il y dépense beaucoup de talent, d’énergie et de volonté. Si l’inspiration ne veut pas venir, effrayée par quelque sujet par trop moderne et réfractaire, il la force et lui arrache au moins des vers sobres, corrects et bien frappés : il chante les féeries de la matière, le télégraphe électrique, la locomotive, ce dragon d’acier et de feu. En lisant cette pièce, assurément fort bien faite, nous pensions à une esquisse de Turner que nous avons vue à Londres et qui représentait un convoi de chemin de fer s’avançant à toute vapeur sur un viaduc, par un orage épouvantable. C’était un vrai cataclysme. Éclairs palpitants, des ailes comme de grands oiseaux de feu, babels de nuages s’écroulant sous les coups de foudre, tourbillons de pluie vaporisée par le vent : on eût dit le décor de la fin du monde. À travers tout cela se tordait, comme la bête de l’Apocalypse, la locomotive, ouvrant ses yeux de verre rouge dans les ténèbres et traînant après elle, en queue immense, ses vertèbres de wagons. C’était sans doule une pochade d’une furie enragée, brouillant le ciel et la terre d’un coup de brosse, une véritable extravagance, mais faite par un fou de génie. On pourrait peut-être poétiser et rendre pittoresque, à moins de frais, cette locomotive que nos littérateurs n’admirent pas suffisam-