Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/392

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ce que le contour ne puisse plus la retenir. L’âme universelle circule du minéral à la plante, de la plante à l’animal, de l’animal à l’homme. La vie prodigue lutte avec la mort avare, qui redemande les éléments qu’elle lui a prêtés, et la nature inconsciente se tait, n’ayant point de parole et ne pouvant que répéter comme un écho la voix de l’homme ou plutôt de l’humanité.

Le monde est comme le Titan Prométhée ; le vautour funèbre lui ronge un foie qui renaît toujours. La vie et la mort ne sont que la recomposition et la décomposition des formes qui, sous le voile de la couleur, se métamorphosent sans cesse, et la matière éternelle de Spinosa a pour levain, dans la fermentation qui ne s’arrête jamais, le perpétuel devenir de Hegel. Ces idées sont développées par le poëte avec une rare puissance de style et une grandeur tranquille, vraiment digne de l’antiquité. L’image dans ses vers s’applique à l’idée philosophique et flotte autour d’elle comme une draperie laissant deviner le corps qu’elle cache et dont elle caresse les contours. L’abstraction se pare de couleurs chatoyantes ; tout palpite, tout brille, tout se meut, et l’immense fourmillement de la nature en travail anime jusqu’aux moindres pièces du recueil. Même lorsqu’il traite des sujets tels que Danaé et Léda, le poëte, allant au delà du fait mythologique, découvre dans la fable des sens cosmogoniques. Danaé captive en sa prison d’airain, c’est la terre glacée par rhiver et attendant que les rayons d’or pleu-