Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/408

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Portugal, les Lusiades ; l’Angleterre, le Paradis perdu. À tout cela, nous ne pouvions opposer que la Henriade, un assez maigre régal puisque les poèmes du cycle carlovingien sont écrits dans une langue que seuls les érudits entendent. Mais maintenant, si nous n’avons pas encore le poème épique régulier en douze ou vingt-quatre chants, Victor Hugo nous en a donné la monnaie dans la Légende des siècles, monnaie frappée à l’effigie de toutes les époques et de toutes les civilisations, sur des médailles d’or du plus pur titre. Ces deux volumes contiennent, en effet, une douzaine de poèmes épiques, mais concentrés, rapides, et réunissant en un bref espace le dessin, la couleur et le caractère d’un siècle ou d’un pays.

Quand on lit la Légende des siècles, il semble qu’on parcoure un immense cloître, un espèce de campo santo de la poésie dont les murailles sont revêtues de fresques peintes par un prodigieux artiste qui possède tous les styles, et, selon le sujet, passe de la roideur presque byzantine d’Orcagna à l’audace titanique de Michel-Ange, sachant aussi bien faire les chevaliers dans leurs armures anguleuses que les géants nus tordant leurs muscles invincibles. Chaque tableau donne la sensation vivante, profonde et colorée d’une époque disparue. La légende, c’est l’histoire vue à travers l’imagination populaire avec ses mille détails naïfs et pittoresques, ses familiarités charmantes, ses portraits de fantaisie plus vrais que les portraits réels, ses grossissements de types,