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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/414

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d’une pièce d’eau, tandis que le front contre une vitre, à une fenêtre du palais, rêve le fantôme pâle de Philippe II, songeant à son Armada lointaine, peut-être en proie à la tempête et détruite par ce vent qui effeuille une rose.

Le volume se termine, comme une bible, par une sorte d’apocalypse. Pleine mer, Plein ciel, la Trompette du jugement dernier, sont en dehors du temps. L’avenir y est entrevu au fond d’une de ces perspectives flamboyantes que le génie des poëtes sait ouvrir dans l’inconnu, espèce de tunnel plein de ténèbres à son commencement et laissant apercevoir à son extrémité une scintillante étoile de lumière. La trompette du jugement dernier, attendant la consommation des choses et couvant dans son monstrueux cratère d’airain le cri formidable qui doit réveiller les morts de toutes les Josaphats, est une des plus prodigieuses inventions de l’esprit humain. On dirait que cela a été écrit à Patmos, avec un aigle pour pupitre et dans le vertige d’une hallucination prophétique. Jamais l’inexprimable et ce qui n’avait jamais été pensé n’ont été réduits aux formules du langage articulé, comme dit Homère, d’une façon plus hautaine et plus superbe. Il semble que le poëte, dans cette région où il n’y a plus ni contour ni couleur, ni ombre ni lumière, ni temps ni limite, ait entendu et noté le chuchotement mystérieux de l’infini.

Les Chansons des rues et des bois, comme le titre l’indique, marquent dans la carrière du poëte une