Aller au contenu

Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

entre nous, chacun prenant un rôle de la pièce, et, par saint Jean d’Avila ! il n’y avait pas besoin de souffleur. Mais il était moins lyrique que le reste de la bande, véritablement enragée de poésie, et qui, satisfaite sous le rapport du style, se souciait assez peu du sujet. La composition dramatique le préoccupait énormément. Il faisait des plans pour des drames imaginaires, traçait des épures de scènes, ajustait des charpentes, faisait des plantations de péripéties, s’enfermait dans des situations dont il jetait la clef par la fenêtre, se donnant pour tâche de sortir de là, ménageait des effets pendant trois actes afin de les faire éclater au moment précis, découpait des portes masquées dans les murs pour l’apparition du personnage attendu et dans les planchers des trappes anglaises pour sa disparition.

Il machinait d’avance, comme un château d’Anne Radcliff, l’édifice singulier avec donjon, tourelles, souterrains, couloirs secrets, escaliers en spirale ; salles voûtées, cabinets mystérieux, cachettes dans l’épaisseur des murs, oubliettes, caveaux mortuaires, chapelles cryptiques où ses héros et ses héroïnes devaient plus tard se rencontrer, s’aimer, se haïr, se combattre, se tendre des embûches, s’assassiner ou s’épouser.

Nous l’accusions de faire de ses pièces des modèles en bois, et il riait de l’accusation, répondant que ce serait en effet la meilleure méthode.

Bouchardy avait ce tempérament naïf et compliqué qui faisait enchevêtrer aux ouvriers du moyen