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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/66

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À travers une porte entre-bâillée on entrevoyait la cuisine avec quelques casseroles pareilles à des boucliers antiques, et devant le fourneau, un homme de haute stature et de prestance sénatoriale, une veste blanche sur l’épaule, semblait rêver profondément, en proie à une nostalgie ; il avait un de ces nez immenses parfaitement nobles, parfaitement corrects, qui par leur dimension même sont la caricature de la beauté ; à ce maître nez et à l’énorme collier de barbe plus noire que la lave de Torre del Greco qui encadrait ce pâle visage grand comme un masque de théâtre, on ne pouvait méconnaître un enfant de la Grande Grèce, un pur et authentique Napolitain.

Déjà les peintres rôdaient autour de lui, oubliant qu’ils étaient entrés pour boire un cruchon de bière ou deux, et cherchaient leurs albums dans leurs poches pour profiter de ce superbe modèle qu’on serait allé chercher à Pie-di-Grotta, ou sur la Marzilline, que, par une bonne fortune extraordinaire, on rencontrait à Neuilly, dans la banlieue, devant le fourneau d’un cabaret qui ne ressemblait nullement à une osteria napolitaine.

Il se prêtait complaisamment à ces admirations d’artiste en homme habitué à les recevoir. Il prenait avec intelligence le mouvement indiqué et savait tenir la pose, qualité rare ! Il eût fait un excellent modèle ; mais, comme ce cuisinier italien dont parle Balzac dans sa nouvelle de Gambara, il était fou de son art, et son amour-propre, risible pour