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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/69

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Son père, en sa qualité d’ancien chirurgien d’armée, avait une assez belle collection anatomique.

Le crâne avait appartenu à un tambour-major tué à la Moskowa, et non à une jeune fille morte de la poitrine, nous dit Gérard, et je l’ai monté en coupe au moyen d’une, poignée de commode en cuivre fixée à l’intérieur de la boîte osseuse par un écrou tourné sur un pas de vis. On remplit la coupe de vin, on la fit passer à la ronde, et chacun en approcha ses lèvres avec une répugnance plus ou moins bien dissimulée.

— Garçon, de l’eau des mers ! s’écria, lorsque la tournée fut finie, un néophyte outrant le zèle.

— Pourquoi faire, mon garçon ? lui dit Jules Vabre.

N’est-il pas dit de Han d’Islande : « Il buvait l’eau des mers dans le crâne des morts » ? Eh bien ! je veux faire comme lui et boire à sa santé ; il n’y a rien de plus romantique et de plus… comique, nous n’avons pas pu nous empêcher d’en rire un peu dans les Jeunes-France.

C’est là, dans cette petite maison rouge, digne Joseph Prudhomme, respectable élève de Brard et Saint-Omer, expert assermenté près les tribunaux, que moi, ton paisible voisin d’omnibus, je buvais dans un crâne comme un pur cannibale, par bravade, ennui et dégoût de ta bêtise solennelle.