Page:Gautier - Isoline et la Fleur Serpent, Charavay frères, 1882.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
TROP TARD

légères sur sa nuque ; ses larges prunelles d’un bleu très pâle, pareil à un reflet de ciel sur les glaces polaires, luisaient sous la douce pénombre d’arcades sourcilières longues et profondes ; sa bouche avait un sourire presque enfantin. Je la voyais toujours vêtue de soie et de dentelles, les cheveux humides de pierreries, les épaules nues à demi cachées dans des fourrures. La nuit elle se penchait vers mon lit, me souriant, et je croyais sentir sur mon front sa douce main tiède. Quelquefois elle me parlait avec un timbre de voix qui me semblait étranger.

Il faut avouer que ce qu’on est convenu de nommer l’idéal a des contours moins précis. Je ne doutais pas que cette femme, qui prenait peu à peu possession de tout mon être, n’existât et ne me fût destinée. Je finis même par me persuader qu’elle avait eu le pouvoir mystérieux de se révéler à moi pour m’empêcher de lui être infidèle avant de la connaître. Aussi quels serments je lui faisais dans mes nuits d’insomnie et combien j’étais sincère ! car il m’eût été impossible d’éprouver le moindre sentiment d’amour pour une autre qu’elle.

Cependant la période de rêverie heureuse de cette bizarre passion cessa et fit place à une impa-