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Page:Gautier - Isoline et la Fleur Serpent, Charavay frères, 1882.djvu/186

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TROP TARD

à mon mal, elle se mit bravement en route avec moi. N’eût-elle pas fait le tour du monde pour m’éviter un chagrin ?

Un mois après nous étions à Bade, ayant couru toutes les plages normandes et bretonnes. J’étais aussi avancé qu’au départ ; mon idéal ne fréquentait pas, apparemment, nos côtes.

— « Mais où l’as-tu vue, cette femme ? » me disait ma mère.

Je n’osais pas lui répondre que je ne l’avais jamais vue, de peur qu’elle ne se prêtât moins complaisamment à ma fantaisie ou ne me crût la cervelle détraquée.

— « Je l’ai vue à Paris, disais-je ; je crois qu’elle est étrangère. »

C’est sur ce faible indice que nous avions choisi Bade, où les étrangers abondaient alors. Elle n’était pas plus à Bade que sur les plages.

Je voulus aller en Norvège sous prétexte qu’elle était blonde. Elle n’était pas non plus en Norvège.

Ces éternelles déceptions, loin d’éteindre mon amour, l’exaltaient au dernier point. Cette poursuite chimérique, cet espoir chaque jour renaissant, ne manquaient pas d’un certain charme douloureux.