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Page:Gautier - Isoline et la Fleur Serpent, Charavay frères, 1882.djvu/71

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ISOLINE

tait ; elle lui fit défendre de l’accompagner, et, seule, vagabonda des journées entières.

La nature l’enivra, les grands horizons, les ciels changeants, la variété infinie des sites lui causèrent ses premières joies ; mais ce bonheur s’usa vite, les mauvais temps accoururent, la pluie barrait les routes, le brouillard effaçait le paysage et le vent modulait ses plaintes dans les flûtes des serrures.

Tous les livres de la bibliothèque étaient lus et relus : que faire ? que devenir ? Un désespoir de plomb écrasait la pauvre Isoline. Elle comprenait maintenant l’horreur de sa vie, et voyait qu’elle était sans issue ; elle était femme déjà, elle devait donc vieillir là, y mourir ; sa jeunesse, sa beauté, tout s’engloutirait, inconnu, dans ce tombeau désert ?

Et elle sanglotait et criait seule en face de sa lampe, tandis que l’eau ruisselait dans les gouttières.

— « Pourquoi attendre ? se disait-elle, pourquoi ne pas hâter la fin ? »

L’idée de se tuer s’empara d’elle et grandit rapidement. Elle fit souffrir mille morts à Marie en lui disant sa folie. Plusieurs tentatives de suicide avortèrent ; elle se blessa, se rendit malade, mais revint à la vie.