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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/114

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portées un jour, et sur lequel est toujours accroupie une affreuse vieille, la cousine germaine de l’usure, l’occasion du malheur, une harpie retirée, chauve, édentée, et prête à vendre le contenu, tant elle a l’habitude de colporter ou d’acheter le contenant, la robe sans la femme ou la femme sans la robe. La marchande est là comme l’argousin dans le bagne, comme un vautour au bec rougi sur des cadavres, au sein de son élément ; plus horrible que ces sauvages horreurs qui font frémir les passants, étonnés quelquefois de rencontrer un de leurs plus jeunes et frais souvenirs pendu dans le sale vitrage derrière lequel grimace une de ces marchandes à la toilette qui ont fait autant de métiers inconnus qu’il y en a de connus.

Ce fut une de ces gémonies de nos fêtes que j’indiquais à un de mes amis.

« Que dites-vous de ceci ? n’est-ce pas la femelle de la Mort ? » lui dis-je à l’oreille en lui montrant au comptoir une terrible compagnonne.

Nous entrons.

lui. — Madame, combien cette guipure ?

elle. — Pour vous, monsieur, ce ne sera que cent écus.

Elle remarque une cabriole particulière aux artistes, et ajoute d’un air pénétré : — Cela vient de la princesse de Lamballe.

moi. — Comment ! si près du Château ?

elle. — Monsieur, ils n’y croient pas

moi. — Madame, nous ne venons pas pour acheter…

elle. — Je le vois bien, monsieur.

moi. — Nous avons plusieurs choses à vendre, je demeure rue de Richelieu, 112, au sixième. Si vous vouliez y passer d’ici à une heure, vous pourriez faire un marché…

elle, en regardant fixement mon camarade. — Monsieur désire peut-être quelques aunes de mousseline bien portées ?…

moi. — Non, il s’agit de savoir à quoi s’en tenir sur une robe de mariage, et l’on a confiance en vos talents.

Deux heures après Mme Nourrisson (elle s’appelait ainsi) vint en robe de damas à fleurs provenant de rideaux décrochés à quelque boudoir saisi, ayant un de ces châles de cachemire passés, usés, invendables, qui finissent leur vie au dos de ces femmes. Elle portait une collerette en dentelle magnifique, mais éraillée, et un affreux chapeau ; mais, pour dernier trait de physionomie, elle était chaussée en souliers de peau